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Depuis 2008, le Samoëns American Festival rassemble, tous les ans, les adeptes de l’histoire et de la culture américaine. Le temps de quelques jours, et comme si toute la chronologie avait été compressée, le village de Haute-Savoie se transforme pour accueillir, simultanément, les représentations made in USA les plus populaires. L’anachronisme qui découle de l’affrontement de ces mythes est fascinant. Le spectateur vagabonde d’un tableau à l’autre, où se redessine, à chaque fois, des formes pittoresques d’appropriation culturelle ; comme si la Haute-Savoie avait la tentation de conquérir l’histoire des États-Unis, histoire qui a elle-même su absorber les cultures amérindiennes et européennes pour se constituer.
Il est ironique que la première édition du festival ait eu lieu pendant la crise financière de 2008, produit dérivé tout droit importé des États-Unis. C’est quand son hégémonie sur le monde et que sa domination sur l’Union européenne sont remises en question, qu’il faut alors raviver les imaginaires et les fantasmes. Quoi de mieux que les représentations d’une Amérique éternelle, à destination d’un territoire rural et industriel en crise, dont les ressorts économiques souterrains, alternatifs et autogestionnaires semblent, par ailleurs, être dans une symbiose ambigüe avec des formes radicales de libéralisme. Ce qui se joue au Samoëns American Festival est représentatif d’une réalité hypothétique : celle de l’influence de la culture américaine en Haute-Savoie, et plus généralement, dans les vallées industrielles, les paysages ruraux et alpins, que j’arpente depuis 2018.
A la fin du festival, de la communauté rassemblée ne reste plus que les indices échoués le long des routes, dans le repli des montagnes ou à l’orée des forêts de sapins. Il s’agit là des points de départ à partir desquels je retrace la piste américaine : à travers les paysages, les rencontres et les artefacts qui m’y conduisent. Je documente les liens fragiles entre ces pionniers ou leurs descendants, la relation qu’ils entretiennent avec leur identité et leur territoire. La manière dont ils transforment leur pays, en marge des grandes villes, a rendu tangible la possibilité d’un ailleurs. Cet ailleurs, c’est celui de Sapaudia ; une Haute-Savoie rêvée ou un État fédéré d’une Amérique fantasmée, un espace-temps autonome créé de toutes pièces à partir des lambeaux du passé et du futur, de la réalité et du rêve, de la vérité et du complot.